mercredi 27 juin 2018

Trouvez les 7 différences

Vous vous souvenez de ces jeux de quand on était petit ? Il y avait 2 dessins côte à côte et il fallait trouver les différences entre les deux.


Du plus simple au plus complexe, ce jeu exige de prêter attention à tous les détails, et même de ne focaliser son attention que sur les détails plutôt que sur la vue d'ensemble. Dans la vraie vie, on fait rarement ça, notre cerveau trie et filtre les informations fournies par nos yeux et ne retient que ce qui lui semble pertinent. C'est ce qui fait qu'on bug pendant 5 minutes à se demander ce qui a changé chez notre collègue de bureau, notre boulangère, est-ce la coiffure ? les lunettes ? Et ce monsieur dans la queue du supermarché, je suis sure que je le connais, mais d'où ? En fait c'est le pharmacien, mais comme il n'a pas sa blouse et que je le vois dans un contexte différent je ne le "place" pas.

je vous met quelques jolies photos pour aérer le texte, même si ça n'a rien à voir avec ce que je vous raconte. Là c'est mon dernier filé main.

Bon je ne dis pas que ça concerne tout le monde au même degré, il y a des personnes qui retiennent mieux que d'autres moi les détails, je n'en doute pas, mais au jeu des 7 différences, d'une façon ou d'une autre, on est tous un peu logés à la même enseigne, parce qu'il y a des différences qui ne se voient pas. Et c'est là que je veux en venir. Entre autres.

dernière teinture maison. Avec du rose. Oui madame !

Parce que c'est facile d'identifier une différence visible, si on cherche une différence. Et quand on regarde les autres, les gens, les inconnus et les proches, les familiers et les étrangers, ce qui nous saute aux yeux en premier, c'est les différences. Tout ce qui sort de l'habitude, de l'ordinaire, de la moyenne, de ce qui nous est familier. Un style vestimentaire, une couleur de peau, une corpulence, une façon de se mouvoir, une coupe de cheveux, un signe religieux, une façon de parler, va être reconnu soit comme une ressemblance soit comme une différence. Et ça, on n'y peut pas grand chose. Là où on peut plein de choses par contre, c'est quand on va associer la ressemblance ou la différence à un jugement: normal ou pas normal, sain ou malade, beau ou moche, moral ou scandaleux, inquiétant ou rassurant. Et là des fois ça demande de faire un petit effort, pour ne pas se jeter sur une conclusion facile. Parce qu'en plus de ce qu'on voit il y a tout ce qu'on ne voit pas, tout ce qu'on ne sait pas.


photo by Kate O'Sullivan
Par exemple, quand on me regarde, on peut voir que je suis grosse. Ce n'est pas un jugement, c'est un fait mesurable. Là où ça devient un jugement c'est si on se dit que je dois être trop paresseuse pour faire du sport, que je n'ai pas assez de volonté pour faire un régime, que c'est moche et que donc je devrais cacher ce corps non conforme sous des vêtements amples et couvrants. Le pire, c'est que je pense pareil, et que c'est un travail de tous les jours de me dire que j'ai autant le droit d'exister que les autres. La photo ci dessus, je ne l'ai pas postée dans mon dernier billet, parce qu'on y voit plus de moi que sur celle que j'ai mise, plus de ma forme, de mes formes. Et pourtant, elle est belle cette photo. Et c'est moi, moi heureuse, moi qui souris, moi avec mon double menton et mon sourcil qui rebique, moi qui ne me soucie pas du jugement des autres parce que je suis regardée avec bienveillance par une photographe géniale.



Par exemple, quand on me regarde, on ne peut pas voir que je suis atteinte d'une maladie neurologique, dégénérative et incurable, qui s'appelle la sclérose en plaque. C'est une maladie perfide et fourbe, une maladie auto-immune, ça veut dire que mon propre système immunitaire attaque mon propre système nerveux. Mon corps me trahit moi-même; au lieu de me protéger des virus et autres microbes, mes globules blancs grignotent la gaine de myéline qui protège mes cellules nerveuses, dans mon cerveau, ma moelle épinière. Et pour protéger mon système nerveux (qui sert à tout un tas de trucs super utiles, genre marcher, sentir, toucher, voir, tricoter, vivre quoi) je dois prendre des traitements qui inhibent mon système immunitaire, et me rendent donc plus fragile face aux virus et autres microbes.
A ce jour, les perfides globules n'ont encore rien grignoté de trop important, je touche du bois en espérant que ça dure encore longtemps comme ça, et que la recherche médicale continue à faire des progrès. Mais cette guerre civile miniature dans mon organisme, ça me fatigue. Ça non plus ça ne se voit pas, la fatigue, mais ça ralentit, ça empêche, ça fait hésiter à se lancer dans des trucs, ça fait qu'il me faut des jours, des semaines pour me remettre d'activités pourtant si agréables comme aller à Dublin ou faire une démonstration de filage.


filage en cours. Faut libérer des bobines pour le Tour de Fleece


Bon, si vous avez lu jusque là, tout ce blabla qui n'a rien à voir avec la laine, le tricot, les moutons, tout ça tout ça, déjà je vous remercie de votre patience, et je vais vous expliquer pourquoi je vous raconte tout ça. En ce moment, comme à vous surement, l'actualité me donne rarement envie de sauter au plafond ou de faire une petite danse de la joie. Entre les bateaux qu'on rejette à la mer et les enfants en cages, c'est pas top, c'est le moins qu'on puisse dire.



Et ce qui me redonne espoir dans l'humanité (pas à tous les coups, mais souvent), ce sont mes réseaux sociaux. Parce que j'y suis plein de personnes formidables, qui se battent pour être visibles, pour avoir le droit d'exister, qui utilisent leur voix pour faire entendre le message de ceux qui ne peuvent pas parler, qu'on ne veut pas écouter, qu'on ne peut pas entendre. Et qui me rappellent tous les jours que moi aussi j'ai une voix, et que même si elle est petite, si je ne m'en sers pas pour les choses qui m'importent je ne vaux pas mieux que les tristes sires qui nous gouvernent.

non ce n'est pas un coming out, mais ce mois de juin est dédié
aux fiertés LGBT+ , et moi je rêve d'un monde où il n'y aura plus besoin
de se battre pour être accepté en tant qu'être humain sous prétexte qu'on est "différent".


Je voulais donc vous conter une histoire, une histoire de visibilité, une histoire de sept différences, visibles et invisibles, une histoire qui montre qu'on n'est pas obligé de juger les autres et d'utiliser ce jugement pour les rejeter, les diminuer, une histoire qui montre qu'on peut transformer de vilains jugements en très belles actions.


Cette femme qui a gentiment posé à coté de moi sur la photo, avec ses cheveux roses, est connue dans le monde de la laine sous le nom de Countess Ablaze (qu'on pourrait traduire par la Comtesse Flamboyante). C'est une teinturière de talent et une personnalité haute en couleur (au propre comme au figuré). Il y a quelque mois, elle a reçu un message d'un restaurateur de sa ville, Manchester, qui lui proposait (je traduit/résume sans les gros mots, qui certes font toute la saveur de l'histoire mais c'est le truc de la Comtesse, pas le mien) de participer à une éventement "caritatif" en offrant de la laine gratuite à "des petites mamies qui viendraient avec leurs copines, à qui on pourrait servir du thé pourri et des gâteaux médiocres" , ce qui ne couterait pas grand chose et lui offrirait de la visibilité (le terme utilisé en VO était "exposure", qui peut désigner à la fois une visibilité publique, de la notoriété, et aussi le fait d'être exposé, mis à nu). La réponse de la Comtesse a été de créer un coloris de laine appelé "If I want exposure, I'll get my tits out" (si je veux de la visibilité je montrerai mes nichons). Les profits de la vente de cette laine ont été reversés à une association de défense des femmes victimes de violences et cela a permis de récolter plus de 3000£. C'est déjà sacrément classe.

photo @CountessAblaze


Et comme si ce n'était pas suffisamment admirable, en réponse à une personne qui a copié son coloris, elle a proposé à tous les teinturiers indépendants qui le souhaitaient de reproduire ses couleurs, dans leur propre style, à condition qu'une partie du produit de leurs ventes soit reversée à l'association caritative de leur choix. Plus de 250 personnes ont répondu à son appel, partout dans le monde, je ne les connais pas tous, mais je vais en citer quelques unes que je connais en France, la créatrice de patrons et reine du karaoké Julie Knits in Paris, les teinturières La Bien Aimée, Squirrel's yarns, Big Bad Yarn, Lil Weasel, Patte de Velours (Suisse), Quenouille et Mousseline, j'en oublie, vous pouvez vous régaler les yeux avec le mot clef #titsoutcollective sur Instagram.


I am absolutely stoked at the reaction to Tits Out Collective, my response to plagiarism in which the original colourway, If I Want Exposure, I'll Get My Tits Out was created in response to misogyny and a request to working for exposure and raised over 3k for the charity Women's Aid. . Over 200 worldwide indie dyers, pattern designers and makers of notions have jumped on board to recreate the original colourway and will be donating to charities of their choice. If you want to get involved, see the blog post linked on my Insta-profile and launch is on July 1st. I'll be closing sign ups on June 28th. . In the coming day or so I'll be asking participants to send us a square photo of what you've made, without yarn label or branding, to a link I'll set up to create a Gallery of Tits. The whole idea of this collective response is to work together as a community and the last thing that I want to do is showcase any particular business or country so the gallery will be squared images linking to the URLs. Businesses of all experience and longevity will be mixed together in a random order to even the playing field. . The hashtag to keep an eye on in the run up to launch is #titsoutcollective where you'll see plenty of participants showing off their colourways, designs and notions. . Thank you so so much for all the support you've shown to me and more importantly to each other. You are all rock stars! 🤘🔥 . . . #countessablaze #ifiwantexposureillgetmytitsout #charity #craft #indiedyer #knitting #crochet #textiles #weaving #yarnologist #knitting_inspiration #fashion #craftivism #Ravelry #wool #dye #dyersofinstagram #instaknit #crochetgirlgang #stashenhancement #feminism #equality
Une publication partagée par Countess Ablaze (@countessablaze) le


Toutes ces laines, modèles, ainsi que des sacs à projet, des anneaux marqueurs, etc ... seront mis en vente dimanche 1er juillet, et on pourra tous les retrouver à partir du site www.countessablaze.com. Évidemment, vous me connaissez, je ne vais pas vous dire quoi faire, mais si vous avez la possibilité de vous faire plaisir tout en faisant une bonne action, n'hésitez pas !

 la vidéo est en anglais, mais sur youtube on peut mettre de sous-titres, voir même les traduire. Après, la qualité de la traduction est ... mauvaise, mais bon.

Tout ça pour dire que les grands changements commencent parfois avec de toutes petites choses, poser un regard plus indulgent sur les autres et sur soi-même, oser se dire et se montrer, être, vivre, occuper l'espace, oser regarder les différences pour la richesse qu'elles apportent et non comme des menaces. Partager, donner, échanger, pour être tous, chacun, unique, humain, ensemble.

Sur ce je retourne à mes aiguilles. Après la sieste.





8 commentaires:

  1. Merci pour ça ! Merci de relayer ! Merci de le faire d'une si jolie façon (avec des digressions photographiques qui quelque part n'en sont pas)!

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    1. merci à toi, cette histoire me touche tellement que j'ai besoin de la partager.

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  2. Très chouette article, je suis ravie de découvrir ton blog. Accepter les différences des autres et ne pas juger, ça s'apprend dès l'enfance et c'est ce que j'essaie d'inculquer à mes enfants.

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    1. Merci, je pense aussi que c'est important de commencer ce travail dès l'enfance, surtout que se remettre dans le regard d'un enfant peut aussi aider à mettre en question nos certitudes (et nos doutes) d'adultes. Tes enfants et toi avez bien de la chance 😉

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  3. Ah merci Mélanie, j'entendais parler de cette histoire sans arriver à remonter au pourquoi du comment (et j'ai un peu de mal avec l'anglais, ça n'aide pas), qui est pourtant bien intéressant (et crispant aussi !)

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    1. oui, je trouve ça vraiment super de transformer la misogynie "ordinaire" et le manque de respect pour le travail des autres en force de solidarité, d'échange, de bien quoi.

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  4. <3 <3 <3 <3 <3 <3

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